– En Allemagne, les faucons reviennent
OpinionMarian Stepczynski
Publié aujourd’hui à 09h35
Est-ce la perspective d’un nouveau gouvernement moins ferme sur le sujet, ou simplement le spectacle d’un rebond des prix d’une ampleur inattendue, qui motive le retour en masse des «faucons» sur la scène monétaire allemande? En tout état de cause, on a rarement assisté à pareil assaut de mises en garde contre la politique actuellement menée par la Banque centrale européenne. Même les économistes du FMI, d’ordinaire plutôt enclins à partager les vues d’une BCE qui considère encore et toujours l’inflation présente comme un phénomène passager, commencent à douter, et encouragent les autorités monétaires à resserrer sans plus tarder les freins à l’expansion du crédit, comme semble s’y engager la Réserve fédérale américaine.
Mais revenons à nos «faucons» d’outre-Rhin. Deux d’entre eux, et non des moindres, expliquent pourquoi il est à leurs yeux illusoire de tenir pour acquis le retour à la stabilité des prix une fois le pic actuel passé. L’un n’est autre qu’Othmar Issing, ancien chef économiste de la BCE, qui ne fait plus confiance aux modèles prédictifs traditionnels des banques centrales, et ne croit plus non plus aux vertus supposées de la «forward guidance», cet outil en vogue chez passablement de banquiers centraux, qui voient dans l’annonce par eux-mêmes de l’évolution probable de leur politique le moyen le plus sûr d’assurer la stabilité monétaire*.
L’autre «faucon», Hans-Werner Sinn, inlassable critique lui aussi de la politique monétaire européenne, bien avant même l’arrivée de Christine Lagarde à la tête de l’institution de Francfort, frappe encore plus fort**. À son avis, «la poussée inflationniste d’aujourd’hui marque la fin de la chimère des ressources créées à partir de rien». À la différence de la stagflation des années 70 déclenchée par les chocs pétroliers, les biais inflationnistes d’aujourd’hui, démontre-t-il, se manifestent sous un double aspect. Dans l’immédiat d’abord, les goulots d’étranglement provoqués par la pandémie rendent inopérants les plans de relance financés en grande largeur par de la création monétaire pure (les emprunts publics étant immédiatement rachetés par la BCE). À plus long terme ensuite, et même en supposant qu’entretemps les prix soient revenus à leur niveau antérieur, il y a toute une série de bonnes raisons de penser que l’inflation s’installera durablement: l’épuisement des sources d’énergie fossiles à bon marché, l’arrivée à la retraite des générations du baby-boom, la dépréciation inéluctable d’un euro mal défendu par sa banque d’émission.
Une chose est sûre en tout cas: les derniers indices de prix ont tous dépassé les prévisions. L’Allemagne, d’où opèrent nos deux «faucons», présente même, avec 5,2%, un taux supérieur à celui de la moyenne de la zone euro; jamais, depuis le début des années 90, le renchérissement n’avait été aussi marqué. La hausse annuelle des prix de la production industrielle (+18,4% en octobre) y est même la plus marquée depuis 1951; au plus fort de la crise pétrolière, elle n’avait atteint «que» 14,6%.
Ainsi que le faisait remarquer je ne sais plus quel autre expert de la chose, «l’inflation est là dès l’instant où le mot est sur toutes les bouches». Nous y sommes presque.
*«The High Stakes of Rising Inflation» (Project Syndicate, 30 novembre 2021)
**«The End of Free Money» (Project Syndicate, 29 novembre 2021)
Chroniqueur.
©Pierre Albouy
Publié aujourd’hui à 09h35
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