– En attendant que pleuve la monnaie
OpinionMarian Stepczynski
Publié aujourd’hui à 09h15
Les bénéfices et occasionnellement les pertes que le bilan de la Banque nationale suisse enregistre par milliards font évidemment jaser. On propose, surtout à gauche mais pas seulement, de faire profiter l’ensemble de la population des soldes excédentaires qui résultent pour l’essentiel des opérations de change que l’Institut mène pour freiner sinon empêcher la hausse du franc, dont le niveau continue d’être considéré comme «élevé».
Bien qu’ils n’atteignent plus l’ampleur qui était la leur lorsque le franc subissait de fortes poussées, les achats de devises (pour l’essentiel des dollars et des euros, avec une préférence pour ces derniers, préférence qui s’est peu à peu estompée au cours de la dernière décennie) ont littéralement décuplé les réserves monétaires de la Suisse, désormais proches des mille milliards (et même davantage si dénombrées en dollars).
On peut analyser la chose de différentes manières. Y voir une simple conséquence de la mise en œuvre de la politique monétaire, d’une «manipulation du taux de change», ont par moments considéré, d’un ton menaçant, les États-Unis. Ou se rengorger en faisant remarquer que la Suisse récolte ainsi les fruits de sa discipline budgétaire et de son efficacité économique.
Mais on peut aussi, plus prosaïquement, y lire le pourtour d’un cercle vertueux: plus la BNS intervient pour empêcher une trop forte hausse du franc, plus elle accroît ses avoirs de devises, et par conséquent plus le franc devient attractif, puisque adossé à une créance sur le reste du monde qui ne cesse d’augmenter. Cette miraculeuse pompe à phynance est certes sujette à d’épisodiques hoquets lorsque les marchés financiers se contractent (les avoirs au bilan de la banque centrale enregistrent alors une perte de valeur), mais le principe demeure: plus son bilan grossit, plus le franc séduit… et plus la BNS doit intervenir pour l’empêcher de monter davantage.
Ce que j’ai qualifié dans une précédente chronique d’abcès de fixation pour la BNS est donc logé dans cette circularité vertueuse. Les probabilités que le franc s’affaiblisse sont minces, eu égard aux facteurs déterminants qui ne sont pas de nature passagère (le solde structurellement excédentaire de la balance des transactions courantes, l’ampleur de la position extérieure nette de la Suisse, l’image décidément indéboulonnable d’un franc aussi bon que l’or, etc.), de sorte que la BNS est en quelque sorte condamnée à voir son bilan grandir et grandir.
Il n’y a donc rien de déplacé dans le fait de proposer d’en tirer parti sous une forme ou l’autre. La seule objection qui mérite attention est celle qui met en évidence le risque d’attenter à la liberté d’action de la Banque nationale, en la soumettant au jeu des pressions politiques de tous bords. D’où l’impératif de fixer des règles claires en matière de distribution des milliards disponibles; de telles règles existent déjà, mais elles ne distribuent que la portion congrue: 6 milliards pour l’an dernier, sur un total distribuable d’au moins 102 milliards (solde de la «réserve pour distributions futures»). Une fois le nécessaire accompli, plus rien ne s’opposera à ce qu’une pluie d’argent nous tombe sur la tête…
Publié aujourd’hui à 09h15
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