– Abstention «piège à cons»
Claude Ansermoz
Publié aujourd’hui à 08h29
Lausanne, 23 septembre 2020, Claude Ansermoz, rédacteur en chef du journal «24 heures». ©Florian Cella/24 heures
Florian Cella/24 heures
Il ne faut pas faire dire à l’abstention ce qu’elle ne veut pas forcément dire. Parce que déjà, étymologiquement, le mot a beaucoup de significations différentes, dont celle du refus d’un héritage. Il serait aussi un peu simpliste de faire porter à l’action ou à l’inaction politique seules le désistement du citoyen dans les urnes. En France, qui vient de connaître une sorte de record en la matière dimanche dernier, on pourrait aussi se demander si le redécoupage électoral de 2014 (Grand Est pour l’Alsace, la Champagne et la Lorraine, Hauts-de-France pour le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie) n’a pas pesé. L’électrice et l’électeur sont des humains comme les autres, ils sont devenus locavores et ne goûtent guère la dépersonnalisation de leur coin dans un pays déjà très centralisé et l’éloignement des centres de décision.
L’abstention est-elle une «pathologie sociale» ? se demandait déjà le chercheur Frédéric Lebaron en 2012 dans la revue «Savoir/Agir». C’est à partir des années 1980 que «l’abstention intermittente» est devenue massive chez nos voisins. En 2007, deux autres scientifiques se sont immergés durant plusieurs années dans une cité de Saint-Denis pour analyser le phénomène. Ils en tiraient la conclusion suivante: «Le fait de voter dépend ainsi avant tout de l’état de l’organisation collective du groupe (de la classe) et de la mobilisation de celui-ci. La déliquescence du groupe ouvrier, le déclin de ses références et de ses organisations, l’ethnicisation croissante des enjeux expliquent une forte démobilisation populaire au sein de la cité des Cosmonautes.»
C’est aussi un peu ça qu’écrit Luc Bronner, ancien directeur de la rédaction du «Monde» dans sa chronique. Il y rappelle que «le noyau dur des électeurs participant à la totalité des scrutins s’est réduit. En 2017, seuls 35% des électeurs avaient participé à l’intégralité des scrutins des élections présidentielle et législatives. Cela signifie que deux tiers des Français se posent la question de se rendre ou non dans leurs bureaux de vote, y compris pour des élections nationales. Cela signifie aussi que la norme est dans l’abstention, partielle ou complète, et non l’inverse.»
«Élections piège à cons», disait un slogan en mai 1968 repris plus tard par Jean-Paul Sartre. Effectivement, la jeunesse ne s’est pas déplacée dimanche dernier: plus de 80% de désaffection chez les moins de 30 ans. La faute, toujours selon Luc Bronner à un débat focalisé sur l’insécurité plutôt que, par exemple, sur les effets secondaires de la crise sanitaire ou la crise climatique «civilisationnelle». À cette aune, l’offre politique joue donc un rôle dont on pourrait tirer un conseil en paraphrasant JFK: «Ne te demande pas ce que les électeurs peuvent faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour les électeurs.»
Les taux de participation aux votations fédérales entre 1990 et 2020 (source: OFS).
L’autre erreur serait celle de croire que l’exemple vient de Suisse et du scrutin par correspondance. Certes, voter ou élire par la poste aide à la mobilisation, mais nos taux d’abstention sont très majoritairement supérieurs à ceux des Français. Il suffit pour cela de regarder les statistiques en la matière. Depuis 1990, en moyenne annuelle sur les enjeux fédéraux, seuls trois dimanches de votations ont connu un taux supérieur à 50%. Il y a donc peu de leçons à donner en la matière.
«L’erreur serait de croire que l’exemple vient de Suisse.»
Publié aujourd’hui à 08h29
Vous avez trouvé une erreur?Rapporter maintenant.