– Le réveil de l’Europe et de la Suisse
Le jeu avec le gaz que mène la Russie oblige les pays importateurs à améliorer leur sécurité énergétique.
Publié aujourd’hui à 08h07
Jamais, depuis longtemps, la vulnérabilité énergétique de l’Europe, et par ricochet de la Suisse, n’aura été aussi débattue dans l’opinion publique. Les pannes à répétition du parc nucléaire français, le manque de vent dans les grandes plaines d’Allemagne et les restrictions de livraison de gaz par la Russie ont fait exploser les prix de l’électricité et du gaz. Depuis la mi-janvier, la fièvre est retombée. Mais tout le monde comprend que cette situation pourrait se répéter au prochain hiver ou, pire, s’aggraver de manière dramatique si la guerre entre la Russie et l’Ukraine devait finir par éclater.
Le petit jeu de Moscou consistant à restreindre les flux de gaz destinés à l’Europe avant l’hiver, quand les réseaux de gaz font leurs réserves, a poussé l’Europe un peu plus dans les bras des États-Unis. Les livraisons de gaz liquéfié, transporté par les méthaniers et déchargé sur le front de mer de l’Atlantique allant de l’Espagne aux Pays-Bas, ont permis de détendre la situation. Même si l’Europe ne peut pas se passer totalement du gaz russe à court terme, Vladimir Poutine a définitivement perdu la confiance de ses principaux clients captifs dans une transition énergétique qui risque déjà de le marginaliser. En clair, les craintes qu’il a réveillées sur la fiabilité du gaz russe seront durables, y compris en Allemagne, pays qui a trop tardé à diversifier ses sources d’approvisionnement. Mais cette fois, Berlin n’a plus le choix: l’offre de gaz liquéfié américain, bien que plus cher, va gagner des parts de marché dans une économie qui compte sur le gaz pour assurer sa sortie du charbon et du nucléaire.
Les risques pour la Suisse? Ils sont comparables à ceux de l’Europe, mais à une différence près. Et elle est majeure. Nous ne sommes pas protégés par l’UE et de plus en plus isolés pour assurer notre sécurité d’approvisionnement, faute d’un accord sur l’électricité. Nos possibilités d’importations en hiver sont techniquement et politiquement limitées alors qu’elles auront tendance à augmenter au cours des prochaines décennies. Plus problématique encore: paradoxalement, les volumes étrangers en transit sur notre réseau vont augmenter et nous coûter de plus en plus cher! Là où l’on faisait des bénéfices, on fera des pertes.
Bref, la sécurité d’approvisionnement devient critique. Cela peut paraître curieux aux profanes, mais la Suisse est mal organisée. Certes, dans la loi, les responsabilités incombent aux cantons, à la branche électrique et gazière, à Swissgrid, à l’Elcom (le régulateur), à l’Office fédéral de l’énergie et… au Conseil fédéral en cas de situation grave. Autant dire à tout le monde et à personne. La notion même de sécurité d’approvisionnement (le degré d’autonomie) demeure floue et mal définie. Il existe bien un organisme, Ostral, chargé de l’approvisionnement en électricité en cas de crise. Mais c’est une coquille vide, bien incapable d’évaluer et d’ordonner des mesures concrètes pour éviter une pénurie. Le Conseil fédéral en a conscience et veut confier une mission à Swissgrid (propriétaire du réseau de transport longue distance) et à la branche du gaz afin de «monitorer» les risques. En clair, fournir aux autorités les informations cruciales… qui leur manquent jusqu’ici!
On comprend mieux la cacophonie médiatique et politique de cette fin d’année. Beaucoup semblaient découvrir que nous avions un problème potentiel d’énergie en hiver et que l’absence d’un accord sur l’électricité avec l’Europe était très problématique. Dans les faits, des études sont en cours et les services de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga préparent le cadre législatif qui indemnisera ceux qui accepteront de produire ou de stocker de l’énergie en cas de coup dur en hiver. Et sans le crier sur les toits, les gaziers viennent probablement de décrocher un premier mandat et d’obtenir un feu orange pour stocker du gaz sous les Alpes. Tout cela aura un prix, qui sera répercuté sur nos factures.
En résumé, la Suisse qui gérait jusqu’ici en amateur sa sécurité d’approvisionnement vient tout juste de se réveiller, elle aussi. Il était moins cinq…
Pierre Veya est chef de la rubrique économie auprès de 24 Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimanche. Auparavant, il a été rédacteur en chef du journal Le Temps, de l’Agefi et chef de la rubrique économique à L’Hebdo. Ses domaines de compétences sont la finance, l’économie, les hautes-technologies, l’environnement, le climat et la politique agricole.
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