– «Fight Club», ou l’usage déroutant de la censure chinoise
La Chine censure puis rétablit le célèbre film de David Fincher. Une anomalie alors que Hollywood se plie toujours plus aux ciseaux de Pékin.
Publié aujourd’hui à 06h53
J’ai vu «Fight Club» à 25 ans et me suis pris en pleine tête la violence de David Fincher. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on ne peut pas rester insensible au génie du réalisateur de «Seven» ou de «House of Cards». À l’époque, j’applaudissais frénétiquement la scène finale: Edward Norton, débarrassé de son double maléfique joué par Brad Pitt, regarde exploser les gratte-ciel du quartier des banques de Los Angeles, célébrant l’anarchie en faisant voler en éclats les symboles du capitalisme. On en parlait entre nous, «spoilant» la fin du film aux uns qui ne l’avaient pas vu, dédaignant les autres qui ne retenaient des combats sanglants entre Pitt et Norton que la violence gratuite.
Vingt-trois ans et bien des films de Fincher plus tard, «Fight Club» refait parler de lui. Coup sur coup. D’abord, il y a deux semaines, lorsque la plateforme chinoise Tencent en a réécrit la fin. À la place des explosions, un bandeau sur l’écran annonce que la police a arrêté les criminels, déjoué l’attentat et enfermé le héros dans un asile de fous. Le bien a triomphé du mal, circulez, il n’y a plus rien à voir.
«Un Occident subversif ou dépravé qu’on ne saurait montrer.»
Rien de très nouveau. Nombre d’œuvres hollywoodiennes sont passées par les ciseaux de censeurs chinois, en chasse d’un Occident subversif ou dépravé qu’on ne saurait montrer. Tom Cruise s’est fait retirer des badges sud-coréens sur sa veste de «Top Gun». Des médecins chinois ont sauvé la vie d’Iron Man. La biographie de Queen, «Bohemian Rapsody», s’est vue amputée des scènes de baisers entre hommes. «Fight Club» avait d’ailleurs été interdit deux décennies en Chine en raison de Brad Pitt, persona non grata après son rôle dans «Sept ans au Tibet» et son amitié pour le dalaï-lama.
Et puis, il y a deux jours, coup de théâtre. Tencent restaure la fin de «Fight Club», et revient à l’ancienne version. La raison de la volte-face est un mystère. Les médias citent la tempête déclenchée sur les réseaux sociaux. Si le régime n’en a cure, la plus grande société de jeux vidéo au monde aurait-elle eu peur de perdre des clients? Une censure qui, de toute évidence, ne fonctionne pas, puisque les cinéphiles chinois qui dénonçaient la fin bidouillée avaient vu la version originale, grâce au piratage largement répandu dans leur pays.
La dépendance de Hollywood
Le jeu des producteurs occidentaux est plus inquiétant. J’ai assisté, pas plus tard que mercredi soir, à une table ronde au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, qui avait invité l’artiste et activiste chinois Ai Weiwei. Il évoquait la difficulté de ses documentaires à être sélectionnés dans les festivals classiques occidentaux et l’assujettissement de Hollywood à la Chine, dont dépendent souvent le financement, la production et la distribution des films. Allant jusqu’à engager des «consultants artistiques» chinois sur certains tournages… Selon «Le Monde», la Chine n’a diffusé sur son sol que 65 films étrangers en 2021! Un chiffre à méditer lorsque j’irai voir mon prochain blockbuster: pour séduire Pékin, l’usine à rêves a tout intérêt à s’autocensurer.
Virginie Lenk est journaliste à la rubrique internationale depuis 2019, spécialiste de l’environnement. Elle a travaillé auparavant à la RTS.
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