– Les Kurdes de Syrie, ces «héros» sacrifiés
L’attaque djihadiste contre une prison du nord-est autonome nous rappelle à quel point les vainqueurs de Daech ont été abandonnés à leur sort.
Publié aujourd’hui à 06h36
Franchement, qui s’en souciait encore? Pour qu’on reparle des Kurdes de Syrie, il a fallu qu’une centaine de combattants de l’État islamique (Daech) lancent une attaque spectaculaire contre la prison de Ghwayran à Hassaké, dans le nord-est du pays, pour faire évader plusieurs milliers de djihadistes d’une vingtaine de nationalités.
La tentative a échoué ce mercredi. Les Forces démocratiques syriennes – dominées par les soldats kurdes – disent avoir repris le contrôle, avec le soutien de frappes américaines. Ce jeudi, la traque des dernières poches de résistance se poursuivait…
L’épisode m’a forcément rappelé une conversation à Genève avec Khaled Issa. Ce représentant des Kurdes de Syrie était venu en 2019 exhorter la communauté internationale de les aider à mettre sur pied un tribunal spécial pour juger les djihadistes étrangers, détenus dans ce Nord-Est syrien que gère de facto un gouvernement autonome à majorité kurde.
C’était déjà une solution de secours, m’avait-il expliqué: «Au départ, nous pensions que les pays d’origine des djihadistes voudraient les rapatrier pour juger leurs nationaux eux-mêmes. Cela aurait soulagé nos finances, car c’est une charge énorme. Mais nous voyons bien les réticences des États.» Bien sûr, sa nouvelle proposition a été poliment entendue, puis ignorée.
«Nous avons sacrifié nos jeunes pour lutter contre une menace universelle.»
Khaled Issa, Kurde de Syrie
Les Kurdes de Syrie ont été abandonnés à leur sort, eux qui avaient pourtant vaincu Daech sur le terrain au prix de dizaines de milliers de morts parmi leurs propres combattants. «Nous avons sacrifié nos jeunes pour lutter contre une menace universelle», me disait Khaled Issa.
«Les terroristes de Daech qui ont commis des attentats en Europe, d’où croyez-vous qu’ils partaient? Il ne suffit pas d’avoir vaincu militairement, il faut absolument trouver les anciens combattants et les membres de cellules dormantes, puis les traduire en justice», insistait-il à l’époque, assis à une terrasse au bord du Léman.
À eux le sale boulot
Trois ans après, rien n’a changé: les Kurdes doivent se débrouiller avec quelque 12’000 djihadistes emprisonnés et leurs familles détenues dans des camps. Pire: les forces occidentales ont laissé la Turquie envahir des territoires du Nord syrien pour tenir à distance ces redoutables combattants kurdes jugés trop proches de la guérilla «terroriste» du PKK kurde en Turquie.
Une autre rencontre me revient en mémoire. Celle de Ghalya Naamat, à l’époque adjointe du ministre de la Défense de la milice kurde de Syrie (YPG). C’était en novembre 2014. Cinq mois plus tôt, son groupe armé était la première organisation syrienne à signer «l’Acte d’engagement» de l’Appel de Genève interdisant l’usage de mines antipersonnel et la pratique de violences sexuelles au cœur de la guerre.
Il s’apprêtait aussi à mettre fin à la présence d’adolescents dans ses rangs. Ainsi, depuis huit ans, les Kurdes de Syrie tentent de se montrer responsables, efficaces et utiles. Résultat? Ils font le sale boulot sur le terrain… puis sont abandonnés.
Rubrique Monde
PATRICK MARTIN
Publié aujourd’hui à 06h36
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