– Afghanistan: son avenir reste une inconnue
OpinionTorek Farhadi
Publié aujourd’hui à 10h45
Suite à sa décision de retirer ses troupes de l’Afghanistan avant le 11 septembre 2021 et de finir une guerre qui aura duré deux décennies, le président Biden avait émis le souhait auprès de ses conseillers que la plupart des soldats américains puissent fêter le 4 juillet, jour de la fête de l’Indépendance américaine, chez eux. Le Pentagone a exaucé le souhait de son commandant en chef et la grande majorité des troupes et contractuels américains ont quitté la base aérienne de Bagram en Afghanistan dans la nuit du 2 au 3 juillet dernier.
La base de Bagram a été construite par l’Union soviétique dans les années 50 du siècle dernier, les troupes soviétiques l’ont utilisée comme base principale de 1979 à 1989. Les Américains y sont restés le double de cette période, de fin 2001 à juillet 2021. En partant, ils ont même décroché le radar aérien de l’aéroport, signifiant ainsi la rupture subliminale de leur relation avec le pouvoir en place à Kaboul, pour cause de corruption et incompétence profondes.
Depuis début juin, les talibans ont fait des avancées fulgurantes dans le nord de l’Afghanistan, et, à la grande surprise des observateurs, les troupes afghanes se sont rendues sans trop d’accrochages et ont même remis leurs armes aux talibans en échange de 120 dollars payés par ces derniers pour les frais de transport afin que ces soldats puissent rentrer chez eux.
Forts de leur progression dans le pays, les talibans ont de ce fait quitté la table des négociations à Doha, au Qatar. À quoi bon négocier quand ils gagnent si facilement du territoire? Pendant ce temps, les États-Unis continuent à subventionner l’armée afghane, mais l’aide financière américaine est en proie à la corruption des gens du palais à Kaboul. En témoignent les soldats au front qui n’avaient pas reçu leur solde depuis cinq mois. De plus, le président Ghani, durant cette année, a changé de ministre de la Défense et de l’Intérieur pas moins de six fois, ce qui a provoqué une confusion totale dans la chaîne de commandement de l’armée afghane.
Les talibans, de manière opportuniste, ont tablé sur l’abandon psychologique des troupes et ont occupé la majeure partie du Badakhshan et de Takhar, provinces clés où le feu commandant Massoud s’était retranché juste avant le 11 septembre 2001 avant d’être assassiné par des membres d’Al-Qaida. Pour marquer leur coup, les talibans sont allés occuper le QG du commandant Massoud et ont fait circuler des photos souvenirs de son bureau de l’époque.
Les élites de Kaboul et des grandes villes sont en train de liquider leurs maisons et résidences à bas prix et préparer leur fuite à l’étranger. L’afghani, la monnaie afghane, s’est déprécié contre le dollar américain. Les maisons sont vendues au rabais et les élites se réfugient en Iran, au Tadjikistan, mais la destination préférée reste la Turquie. Les Américains eux-mêmes vont évacuer 100’000 Afghans, des traducteurs et leurs familles, initialement au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Kazakhstan, afin de les mettre à l’abri en territoire sûr avant de les admettre aux États-Unis une fois que leurs demandes d’immigration seront traitées.
Ailleurs en Afghanistan, la guerre continue avec violence. Les attaques des talibans et les ripostes de l’armée de Kaboul créent des déplacements de population à l’intérieur du pays: 180’000 récemment, mais on s’attend à ce que ce chiffre augmente dans les mois qui viennent. Cela sera bien entendu à la charge de la communauté internationale. Comme les talibans occupent de plus en plus de territoire, les administrateurs et bureaucrates de Bruxelles, les agences humanitaires de l’ONU sortent leurs manuels de délivrance de l’aide humanitaire dans des territoires non gouvernés par un État. Il n’est pas question de faire transiter l’aide par Kaboul, le gouvernement de M. Ghani est notoirement gangrené par la corruption et il n’a plus accès à l’extérieur de Kaboul. Il faudra faire affaire avec les talibans pour acheminer l’aide humanitaire.
À Washington, le gouvernement promet du bout des lèvres de l’assistance à l’armée afghane, mais, suite à des images des fameux Hummer blindés américains circulant sur les réseaux sociaux, pillés et utilisés comme transports en commun avec des civils qui s’entassent dessus, on se demande bien dans quelles mains l’aide militaire future pourrait tomber. Daesh, des milices diverses et variées, y compris liées au narcotrafic. Comme les soldats du gouvernement sont prêts à vendre leurs armes, l’envoi de matériel militaire supplémentaire à l’armée afghane ne rassure pas vraiment les voisins de l’Afghanistan.
Cela a été d’ailleurs une des questions du président russe, M. Poutine, au président américain lors de leur rencontre à Genève le 15 juin dernier: «Dans quel état allez-vous laisser l’Afghanistan?». Réponse qu’aurait probablement donnée le défunt secrétaire à la Défense américaine, Donald Rumsfeld, qui commandait les troupes américaines en Afghanistan en 2001: le futur de l’Afghanistan est un known unknown. Une inconnue déjà reconnue comme telle.
Ancien conseiller afghan au Fonds monétaire international (FMI), au Groupe de la Banque mondiale et à l’ONU.
Publié aujourd’hui à 10h45
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