– La longeole IGP genevoise n’est pas malsaine
OpinionPhilippe Fontaine Charcutier à la retraite
Publié aujourd’hui à 07h03
L’article paru dans la «Tribune» du 3 juin dernier sous le titre «Il se bat pour une longeole plus saine», ainsi que le torrent de réactions qu’il a suscitées ne m’ont pas laissé indifférent. En effet, en ma qualité de charcutier retraité, fils de charcutier de campagne réputé, qui a enseigné la charcuterie pendant une vingtaine d’années aux apprentis genevois, je ne pouvais pas laisser se dire tout et n’importe quoi.
Pour rappel, la longeole genevoise est une saucisse traditionnelle mise au point, selon la tradition orale, par un moine de l’Abbaye de Pommier, au pied du Salève (en France voisine), il y a plusieurs siècles. Le père Longeot aurait eu l’idée d’ajouter quelques couennes et des graines de fenouil à la traditionnelle pâte à saucisson que les paysans fabriquaient lors du « bouchoyage » des porcs dans les fermes, à l’entrée de l’hiver. C’est en ce sens que la longeole se distingue des traditionnels saucissons qu’on retrouve dans la région (saucissons vaudois, saucisses de Morteau, cervelas lyonnais, etc…).
Dans le cahier des charges IGP, les couennes de porc ajoutées à la pâte sont crues, ce qui distingue les longeoles genevoises IGP des longeoles fabriquées en zone frontalière par les charcutiers français avec des couennes cuites. En effet, la législation française interdit l’utilisation de couennes crues dans les préparations de charcuterie. De ce fait, les longeoles du genevois « français» ne sont pas aussi moelleuses et savoureuses que les longeoles produites dans le canton de Genève, ce qui est regrettable pour les gourmets français.
Que dire des nitrites?
Que dire au sujet de la polémique au sujet des nitrites? Il convient de préciser que nos anciens, quand ils tuaient le cochon à l’entrée de l’hiver, n’avaient qu’un souci, celui de conserver sa viande pour pouvoir la consommer tout le reste de l’année. En ces temps reculés on ne mangeait pas de la viande tous les jours, alors on respectait cette importante source de protéines.
Dans un passé pas si lointain, les installations frigorifiques n’existaient pas. Les seuls moyens à disposition de nos ancêtres étaient la conservation par le sel (la salaison) et par la cuisson et la conservation dans la graisse (les confits). Les salaisons n’étaient possibles que pour les grosses pièces du cochon (jambon, lard, etc..). C’est pour cela que le sel a eu un rôle si important dans notre histoire, attisant toutes les convoitises, à commencer par celle des gouvernements (la gabelle).
Pour les autres morceaux plus petits qui ne pouvaient pas être consommés rapidement, ainsi que pour les abats, nos anciens ont élaborés de multiples créations charcutières hachées, qui ont vite fait la réputation des régions (pâtés, terrines, rillettes, saucissons, etc…). En effet, autrefois, on respectait ce que la nature nous offrait et ne jetait rien……. ce que certains semblent redécouvrir aujourd’hui.
La découverte du salpêtre
Les anciens, pragmatiques et fins observateurs, avaient remarqué que certains de leurs produits de salaisons qui touchaient les murs de leur cave où ils étaient suspendus se conservaient mieux et avait un goût plaisant. Ils ont ainsi découvert par hasard le salpêtre (ou sel de pierre en latin médiéval). Ils ont ainsi gratté les pierres de leurs caves pour obtenir cette poudre blanche et l’ont ajoutée à leurs salaisons, ce qui leur a permis de réduire ainsi fortement la quantité de sel dans leurs produits.
En faisant ainsi, ils ont économisé beaucoup de sel produit autrefois rare et onéreux, et ont amélioré fortement la conservation de leurs charcuteries. L’adjonction de ce produit de conservation a eu également un effet très intéressant au niveau de la qualité organoleptique des préparations de charcuterie. Ce n’est que plus tard que les chimistes ont baptisé dans leur jargon le salpêtre nitrate de potassium (E 252).
Pendant des siècles cet adjuvant, comme on l’appelle, a contribué au développement de la charcuterie dans toute l’Europe, sans empoisonner les gens s’il était utilisé correctement. Dans le processus de transformation des viandes, le salpêtre (ou nitrate), souvent associé au sucre, se transforme en nitrite qui se combine avec la myoglobine, pigment rouge de la viande, en nitrosomyoglobine, thermo résistante. C’est pour cela que les charcuteries cuites ont cette couleur rose appétissante (le rose saumure). Sans nitrate ou nitrite, un morceau de viande (ou une préparation de viande) est gris et peu appétissant.
«Nous sommes d’avis que les nitrites présentent plus d’avantages que d’inconvénients»
Philippe Fontaine
Cependant, la vertu principale du salpêtre est la conservation des viandes avec une teneur en sel réduite. Sans ce conservateur qui empêche le développement des bactéries, les intoxications alimentaires seraient fréquentes et le botulisme serait fatal à bien des consommateurs. L’inconvénient majeur du salpêtre est la durée de son processus de transformation en nitrite. C’est là qu’intervient la chimie. Afin de pouvoir élaborer des spécialités charcutières en quelques heures, plutôt qu’en quelques jours, les chimistes ont mis au point un sel «nitrité» qui fait gagner bien du temps aux charcutiers et surtout aux industriels de l’agroalimentaire. Il s’agit de sel de cuisine dans lequel on a ajouté du nitrite de sodium (E250) en de très faible quantité. En effet, compte tenu de sa dangerosité, l’emploi direct du nitrite n’est pas possible.
Le cas du jambon de Parme
Depuis quelques années, le salpêtre a été interdit dans certaines spécialités à cuire, dont la longeole, pour d’obscures raisons. C’est regrettable. En effet, les plus anciens qui ont connu l’utilisation du salpêtre dans nos charcuteries se souviennent de la douceur gustative de ces produits, que le sel nitrité a remplacé par une certaine dureté en bouche. La comparaison faite dans l’article de la TDG avec le jambon de Parme est intéressante, mais fort mal interprétée par des profanes. Il est vrai que cette délicieuse spécialité toscane est élaborée sans nitrate ni nitrite.
Il convient cependant de préciser brièvement son mode de fabrication. D’une part, il s’agit d’une pièce unique de salaison et non d’une préparation de charcuterie hachée. D’autre part, le jambon a l’état cru est enfouit dans du sel marin en chambre froide pendant environ un mois, temps nécessaire pour que le sel atteigne le cœur du jambon, assurant ainsi sa conservation au sortir du saloir. La quantité de sel utilisée est très importante (plus de 30 grammes par kilo de viande) alors que dans les préparations modernes de charcuterie, nous trouvons des teneurs en sel de l’ordre de 10 à 20 grammes par kilo de viande, souvent moins).
Un bouillon de culture…
C’est donc le processus de fabrication du jambon de Parme qui autorise l’absence de nitrite ou de nitrates. Plus il y a de sel, mieux la viande se conserve! Il y a quarante ans, nous avions fabriqué, à la demande de l’émission «A bon entendeur», un jambon cuit sans nitrate ni nitrite, qui avait été présenté à la TSR par Madame Catherine Wahli. Au sortir de la cuisson le résultat était assez encourageant mais après quelques jours, ce jambon était devenu un véritable bouillon de culture et la polémique sur les nitrates avait tourné court…. pour quelques années.
Comme l’a justement relevé l’article de la «Tribune», «au contact de la viande les nitrites forment, dans certaines conditions, des molécules susceptibles de provoquer le cancer, colorectal notamment». Ces allégations, toujours non confirmées font débat depuis plus de cinquante ans. Si ma mémoire est fidèle, par «certaines conditions» il s’agissait, en ce temps là, de la cuisson à l’air libre, à haute température, comme la grillade au feu de bois de certains produits, comme les cervelas. A ce jour rien n’a été confirmé et nous en sommes toujours à l’heure des hypothèses. Une chose est sûre, la longeole ne se grille pas au feu de bois…
Nous sommes d’avis que les nitrates et les nitrites offrent plus d’avantages que d’inconvénients à une époque où il est nécessaire de nourrir une population en croissance perpétuelle, en ménageant au mieux les ressources naturelles. Faisons comme nos anciens qui respectaient le porc qu’ils sacrifiaient à l’approche de l’hiver, en ne jetant rien, grâce à la charcuterie. Pour reprendre une maxime que citait le Docteur Samuel Debrot, docteur en médecine vétérinaire à ses élèves « le salpêtre et le nitrite (principalement le nitrite) sont des poisons. Toutes choses sont poisons et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison ».
Un coup de marketing
Pour revenir à l’article précité, qui ressemble davantage à un coup marketing qu’à un combat sanitaire, je conclus en affirmant qu’il est préférable de se faire plaisir en mangeant une bonne et vraie longeole quelques fois l’an, que de manger un quelconque produit dénaturé au nom d’une mode éphémère. J’espère que l’interprofession de la longeole saura résister à cet effet de mode et préserver ce savoir-faire ancestral.
Je ne pense pas qu’un MOF pâtissier voudra remplacer le sucre dans la pâtisserie par des édulcorants de synthèse, au motif qu’il est un important facteur d’obésité, de diabète et autre morbidité. Une fois de plus tout est une question de consommation raisonnable et équilibrée.
Cela ne m’empêchera pas de régaler ma famille et mes amis avec les longeoles que je fabrique occasionnellement dans ma cave… avec du salpêtre.
Charcutier à la retraite
Publié aujourd’hui à 07h03
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