– La Suisse ne devrait pas financer Frontex
OpinionEmmanuel Deonna – Député PS au Grand Conseil
Publié aujourd’hui à 13h29
À sa dernière session d’automne 2021, les Chambres fédérales ont décidé d’augmenter de manière considérable, à partir de l’an prochain, la contribution suisse à Frontex, l’agence de gardes-frontière et de garde-côtes de l’Union européenne. Ce financement va passer de 14 millions de francs suisses annuels actuellement à 61 millions annuels. Le vote du Conseil national n’était de loin pas unanime: 88 voix pour l’augmentation contre 80 voix contre (surtout socialistes et Verts) et 28 abstentions. En réaction à cette décision, un ensemble d’organisations de défense des réfugié·e·s et des migrant·e·s, a lancé le Référendum «Non au financement de l’agence de gardes-frontière Frontex».
Pour rappel, Frontex, créée en 2004, a principalement pour mission de protéger les frontières européennes face à la migration irrégulière. Toutefois, cette politique de sécurisation soulève de nombreux problèmes du point de vue des droits fondamentaux. En effet, il s’avère que Frontex transgresse régulièrement plusieurs principes, notamment celui de non-refoulement codifié par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Frontex n’hésite très souvent pas à repousser les réfugiés vers l’extérieur de l’UE pour les empêcher précisément d’entamer une procédure d’asile.
De fait, Frontex est mandatée pour participer à une logique d’externalisation de la gestion migratoire auprès des pays tiers (Turquie, Maroc, Libye, etc.) afin de diminuer les entrées des réfugiés sur le territoire européen. Au centre de la mer Méditerrannée et en mer Égée, les organisations non gouvernementales constatent que Frontex s’adonne à la traque aux réfugié·e·s. Ses bateaux arrêtent violemment en haute mer les zodiacs, et autres petites embarcations de fortune, dans lesquelles se trouvent des familles angoissées. Les réfugié·e·s sont contraint·e·s de retourner dans les eaux territoriales turques ou libyennes. Au cours des opérations «pushbacks», des naufrages surviennent fréquemment.
Frontex soutient également financièrement et militairement, sur terre et dans les airs, les gardes-frontière hongrois, grecs et croates. La politique de Frontex met en péril non seulement nos institutions démocratiques, mais surtout la vie des réfugié·e·s qui traversent des frontières très dangereuses. Le Parlement européen semble l’avoir compris. Cette crainte pourrait expliquer pourquoi il a refusé en avril 2021 d’approuver rétroactivement le budget 2019 de l’organisation.
Un peu partout dans le monde (États-Unis, Brésil, Inde, Birmanie, etc.) et y compris en Europe (Hongrie, Croatie, Autriche, France, Italie, etc.), le populisme d’extrême-droite, fidèle à ses habitudes, prône activement le rejet des migrant·e·s. En jouant sur la situation migratoire, les gouvernements espèrent augmenter leur popularité en effrayant leurs opinions publiques. Les autorités polonaises suivent par exemple ainsi l’exemple honteux de l’ancien président étasunien Donald Trump en débarquant à la frontière biélorusse avec des milliers d’hommes face aux réfugiés, dont des femmes et des enfants.
Au lieu d’encourager une inflation sécuritaire, le Conseil fédéral pourrait faciliter les procédures légales suivantes: augmenter les contingents de réinstallation de l’ONU afin d’accueillir davantage de personnes exilées; réintroduire les demandes d’asile auprès des ambassades qui sont actuellement interdites; octroyer beaucoup plus facilement les visas humanitaires qui sont à ce jour délivrés au compte-goutte par les autorités. Une telle approche diminuerait fortement les risques ainsi que les conséquences chaotiques et dangereuses inhérentes à la migration irrégulière.
Le Parti socialiste, les Verts, la gauche radicale, quelques voix du Centre et les syndicats apportent leur soutien actif au référendum No Frontex. Cependant, il est avant tout porté par de petites organisations de la société civile. Le référendum arrive à échéance cette semaine Pour soutenir la tradition humaniste et humanitaire de la Suisse, les formulaires remplis et signés, téléchargeables sur internet, doivent parvenir en courrier A au comité référendaire d’ici au 19 janvier.
Député PS au Grand Conseil et membre du comité référendaire «No Frontex»
Publié aujourd’hui à 13h29
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