– Le Quai 9 a 20 ans. Et maintenant?
OpinionAnne François Pour le comité de l’association Première ligne
Publié aujourd’hui à 07h05
Ancrée dans la loi en 2008 lors d’un plébiscite populaire (68% en Suisse, 74% à Genève), la Loi sur les stupéfiants se base sur la concertation entre tous les acteurs de terrain. La réduction des risques, dont les salles de consommation, est un pilier de cette politique pragmatique qui a démontré depuis longtemps un succès incontestable pour la santé publique: quasi disparition des nouvelles infections VIH chez les usager·ères de drogues et diminution drastique des overdoses mortelles.
Le Quai 9, installé depuis juste 20 ans, même si certains ne s’en souviennent plus, là où le marché de la cocaïne fleurissait, a permis d’éviter morts et maladies ainsi qu’à de nombreuses personnes d’être mises en lien avec des lieux de soins. Le quartier, sur les heures d’ouverture il est vrai, est soulagé des consommations sur la voie publique. Cette politique concertée se fait entre autres en lien avec la police, comme rappelé par la présence du Conseiller d’Etat Mauro Poggia lors du premier épisode des festivités anniversaires marquant les 20 ans du Quai 9. Des voisin·es réclament d’ailleurs que le Quai 9 reste ouvert la nuit et manifestent leur inquiétude du devenir de cette salle de consommation à moindre risque avec les travaux de la gare.
Toutes les études montrent que sanctionner les consommateur·trices n’augmente pas la sécurité des rues, mais conduit à remplir les prisons de personnes dont la consommation n’est en rien réduite et dont les risques pour la santé sont au contraire augmentés. La guerre à la drogue menée sur l’ensemble de la planète n’a pas non plus réussi à assécher ce marché prospère: à Genève, la nuit, il est plus facile de trouver de la cocaïne que du lait.
Ces constats ne sont pas ceux d’une association militante mais le fruit des recherches de la Commission globale de politique en matière de drogues dont les éminents membres comptent notre ancienne présidente Ruth Dreifuss et de nombreuses personnalités politiques qui ont le courage de reconnaître que les politiques qu’elles ont menées étaient dangereuses pour la santé publique et les droits humains, qu’elles augmentaient la violence et que la révision des traités internationaux est impérative pour une meilleure santé globale.
Première ligne est, de fait, un observatoire de la consommation de psychotropes à Genève, ce qui lui donne une position privilégiée pour réfléchir à d’autres voies. L’échec de la voie répressive doit nous conduire à explorer les bénéfices d’une politique de dépénalisation, en commençant par celle de l’usage des drogues, pour sortir d’une forme d’hypocrisie qui dure depuis trop longtemps et aller vers une baisse de la criminalité dans les pays consommateurs ainsi qu’une diminution des morts et de la violence dans les pays producteurs. Avoir un contrôle sur les produits permettrait aussi de sortir du tabou qui empêche un réel travail de prévention.
Première ligne souhaite donc qu’une véritable régulation du marché puisse être une perspective. En attendant, la dépénalisation de la consommation de toutes les drogues serait un pas important pour reconnaître sortir d’une situation dont les méfaits sont à présents reconnus. Souhaitons que la période post-Covid, qui devra nécessairement nous inciter à remettre la santé au cœur de nos priorités, permette de rouvrir sérieusement le débat sur les bénéfices de la dépénalisation pour l’ensemble de la société.
Co-présidente de l’association Première ligne.
Publié aujourd’hui à 07h05
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