– Quand la SNCF écrit à l’obsolète «Mister» Rebetez
Publié aujourd’hui à 08h10
Avez-vous déjà éprouvé cette impression étrange qu’on pourrait appeler le sentiment d’obsolescence?Généralement, cela devrait concerner votre lave-vaisselle ou votre téléphone portable, mais parfois vous vous sentez vous-même en cause, comme si le mécanisme de remplacement par de la nouveauté plus performante touchait non seulement le matériel, mais aussi l’utilisateur.
Parmi les nombreuses applications qui embellissent nos vies et notre quotidien, celle de la SNCF occupait une place de choix dans mon cœur. En quelques minutes, on organise ses déplacements et bien sûr tout se fait grâce au téléphone. Par lui, avec lui et en lui serais-je tenté de dire: billets, données, abonnement, repentirs de dernière minute… C’est tellement pratique que cela relègue les guichets et automates au rang d’antiquités. Bref, je ne vous fais pas l’article, j’imagine que les CFF en offrent autant.
Pendant trois ans, j’ai donc vécu une lune de miel avec la SNCF. Jusqu’à l’été dernier. Jusqu’à ce jour fatal où j’ai découvert, pour une raison restée obscure, que je n’avais plus accès à mon «profil».
On n’y pense pas, mais c’est quelque chose, un profil. Un petit moi, une part de soi. Peut-être virtuel mais pas si anodin. J’ignore si c’est votre cas, mais j’en ai partout des profils, chez mon opérateur téléphonique, mon fournisseur d’énergie, ma banque, dans les musées, les cinémas… Avec insouciance, je les ai multipliés dans tous les coins, en quelques clics frivoles, jusqu’à ce jour funeste où j’ai découvert l’inquiétante vérité: quand on perd un profil, on se perd.
À vrai dire, comme toutes les révélations, ce n’est pas venu d’un coup. J’ai d’abord pris la chose à la légère, pensé à une panne, un malentendu rapide à dissiper. «Oups, une erreur de type inconnu s’est produite, merci de renouveler votre demande ultérieurement», répondait la machine. J’ai renouvelé, renouvelé encore, mais c’était toujours «Oups» et à chaque fois il était impossible de se débarrasser du fameux type inconnu…
Je saute les détails, les identifiants à identifier, les mots de passe à renouveler, les appels à la hotline, les mails échangés, les explications moult fois répétées, tout cela pour aboutir à ce lapidaire message automatique reçu par mail, après trois mois de démarches: «Bonjour MISTER Alain Rebetez, Pour des raisons indépendantes de notre volonté et suite à des difficultés opérationnelles exceptionnelles, nous n’avons pas pu répondre à votre demande». Suivait un numéro de téléphone auprès duquel il fallait tout recommencer «si votre demande est toujours en cours».
Je ne sais pas pourquoi, ce «MISTER» en lettres capitales m’a dépité. Dans un pays qui élève la défense du français au rang de cause nationale, j’y ai entendu le ricanement ironique d’une force supérieure inaccessible à nos bonnes volontés, la mienne comme celle des employés irréprochables de la hotline. Que peut-on face à la machine, figure nouvelle du Destin qui échappe à toute prise humaine?
Aux dernières nouvelles, mon interlocuteur de la SNCF m’assure que le problème sera réglé. Je devrais donc retrouver mon profil dans un futur incertain. Gardons la foi.
D’où vient alors ce sentiment d’obsolescence? Pourquoi cette désagréable sensation d’avoir perdu la partie? Quel est ce souffle infime à mon oreille qui semble célébrer la domination de la machine et saluer les caprices inspirés des algorithmes, me ramenant à mon insignifiance de celui qui n’y comprend rien?
Tout cela pour une histoire de profil, me direz-vous. Ma femme prétend volontiers que j’ai tendance à exagérer. Dans le cas présent, j’espère qu’elle a raison.
Publié aujourd’hui à 08h10
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